LES CAHIERS S.M.T. N°25 - MAI 2011

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Sommaire du Cahier 25

 

 
 
 

CLINIQUE DU SALARIÉ EN SOUFFRANCE PROFESSIONNELLE

 

SYNDROME DE TAKO-TSUBO
CHEZ UNE RESPONSABLE D’UN SERVICE D’AIDE À DOMICILE

 
Annie LOUBET-DEVEAUX, médecin du travail

 

Paule a dix-huit ans et demi lorsqu’elle commence à travailler, en octobre 1980, pour un remplacement de deux semaines, comme aide-ménagère. Ses parents sont agriculteurs. Elle est titulaire d’un CAP et d’un BEP de sténodactylographie. Elle souhaite travailler dans un bureau. Comme elle le dit aujourd’hui, avec humour : « Je suis rentrée pour un remplacement de deux semaines ; trente ans plus tard, j’y suis encore ». Elle est célibataire et vit seule semble-t-il.

Elle va ainsi travailler comme aide-ménagère à trois-quarts de temps et plus parfois (150 h par mois) pendant vingt ans, en recherchant sans chercher vraiment un travail administratif. Elle n’a pas de problème de santé important. Quelques réactions cutanées l’ont amené à porter des gants de coton sous les gants de ménage. Elle signale quelques lombalgies en cas de séances de repassage prolongées : elle est grande et très souvent chez les personnes âgées aidées, il n’y a pas de table de repassage, on repasse sur la table de cuisine. Elle se déplace en voiture d’une maison à l’autre. Pour elle, ce travail n’est pas vraiment pénible pendant les quinze premières années. Le problème, c’est la précarité ; une personne âgée hospitalisée et ce sont des heures en moins et un salaire qui baisse sans chômage technique. En 1992, elle fera un stage de formation lui octroyant un diplôme (CAFAD), formation qui ne lui a pas appris grand-chose, dira-t-elle.

À partir de l’année 2000, elle va travailler à mi-temps au service administratif de l’association d’aide-ménagère tout en restant à mi-temps aide à domicile. Elle me dira cette annéelà : « Les gens deviennent exigeants, on devient la femme de ménage. Avant, on avait un autre statut dans le regard des gens. Je travaille en mettant des limites ! ». Le travail administratif est varié, elle découvre l’informatique : elle prépare les feuilles de planning de ses collègues, fait des courriers, crée les nouveaux dossiers, s’occupe du renouvellement des dossiers. Il faut jongler pour les congés : assurer les congés des aide-ménagères tout en assurant la permanence auprès des personnes âgées ; ces dernières sont moins autonomes, plus exigeantes, les personnes âgées atteintes de maladie d’Alzheimer restent longtemps à domicile. Quand elle a commencé à travailler, la moyenne d’âge des personnes aidées était de soixante-dix ans, maintenant c’est beaucoup plus souvent plus de quatre-vingts ans.

« Ce travail, avec ces personnes atteintes de maladie d’Alzheimer, c’est une grosse responsabilité : il y en avait une, c’était n’importe quoi avec le gaz. La consigne pour nous, ne pas sonner, entrer sans respirer et aller vérifier le gaz d’abord. Un monsieur seul déambulait la nuit dans la campagne avec un fusil, j’avais peur du fait-divers. Une autre me demandait de ranger le sucre sous le lit et le café dans le lit car elle croyait que sa fille venait chez elle la nuit. Chez un autre, j’ai un peu peur ; il a un appareil respiratoire compte tenu de ses problèmes pulmonaires liés au tabac, et il fume en même temps. Les médecins généralistes ne nous croient pas toujours ». Beaucoup d’inquiétude, même si cela ne relève pas de sa responsabilité : la prise de médicaments pour les personnes aidées, qu’il s’agisse de personnes âgées ou de patients plus jeunes mais isolés sortant de service de psychiatrie.

Le travail administratif se complique avec la mise en place de l’APA et du GIR qui va déterminer le nombre d’heures d’intervention hebdomadaire chez les personnes âgées. À partir de 2004, elle a un poste à temps plein strictement administratif. Elle s’occupe toujours des « enquêtes » chez les personnes âgées lorsqu’il s’agit de réévaluer le temps d’aide pour refaire les dossiers à déposer auprès des organismes financeurs de la dépendance : les demandes auprès des CRAM doivent être faites tous les ans au lieu de tous les deux ans, les enveloppes des CRAM diminuent d’année en année avec l’arrivée de l’APA. Il faut gérer les contrats de travail des vingt-cinq aides à domicile quand l’association est mandataire pour une personne âgée employeur (embauche mais aussi licenciement en cas de décès) et ceci représente environ soixante-dix personnes âgées. Il faut aussi organiser les congés des aide-ménagères, pourvoir à l’organisation de leur remplacement auprès des personnes âgées, en essayant de ne pas trop perturber celles-ci dans leurs habitudes « c’est du sur mesure », d’être juste pour préserver un temps de travail équitable pour les aides à domicile, d’assurer le lien avec les familles. Il faut revoir régulièrement les dossiers APA car des couples très dépendants sont maintenus à domicile avec des interventions des aide-ménagères trois heures par jour, y compris les week-ends, et ce sera quatre aides ménagères différentes qui interviendront. Parfois les relations avec les familles sont difficiles et parfois les familles sont loin. Il faut aussi gérer les relations avec les équipes d’infirmières qui interviennent pour les toilettes, mais qui passent moins de temps avec les personnes âgées que les aide-ménagères.

À partir de 2009, pour Paule, le travail se complique encore avec l’arrivée dans le canton d’un opérateur du secteur marchand de l’aide à domicile. Désormais, pour des raisons « d’objectivité » et pour éviter tout conflit d’intérêt, les enquêtes CRAM pour évaluer les besoins des personnes âgées sont faites par les assistantes sociales : les dossiers prennent du retard, doivent être refaits plusieurs fois, car les assistantes sociales n’ont pas la connaissance de l’évolution et du suivi des personnes âgées pour renseigner correctement les dossiers, mais ne peuvent être jointes facilement au téléphone, pour les rectifications indispensables. Les dossiers APA sont difficiles à mettre en place avec des dotations d’une seule heure quotidienne : difficile d’organiser le travail pour une heure d’aide à domicile. En même temps les enquêtes étant faites par un tiers indépendant, l’assistante sociale, Paule perd peu à peu la relation avec les différentes personnes âgées, relation source de meilleure connaissance de la personne âgée dont elle a besoin pour organiser le travail et pour savoir que l’organisation mise en place est la plus satisfaisante pour tous (personnes âgées, aides à domicile, famille).

Le travail est devenu plus stressant, pas seulement parce que des personnes âgées de plus en plus dépendantes sont maintenues à domicile : mais le travail administratif est plus lourd, dépend de plusieurs personnes et d’administrations différentes ce qui empêche souvent l’anticipation, anticipation indispensable pour que les familles n’aient pas à faire l’avance des prestations. Faire face à des situations d’urgence : la personne âgée trouvée morte, la personne âgée à hospitaliser, l’aide-ménagère malade à remplacer au pied levé, « on sait faire maintenant » ; le stress n’est pas là.

Fin juillet 2010, à quelques jours du départ en congé de sa collègue responsable de l’association, à l’heure du petit déjeuner, Paule va présenter une douleur thoracique irradiée au bras gauche, qui persistera toute la journée sans l’empêcher d’aller travailler. Elle ne consultera le médecin que le lendemain et sera hospitalisée en cardiologie. C’est bien un syndrome coronarien aigu, survenant chez une femme non ménopausée, dit syndrome de tako-tsubo. Il n’y a pas de maladie coronaire sous jacente, il survient en général après un stress. Pourtant, pas d’autre stress que le stress professionnel chez Paule, ce souci quotidien de l’organisation du travail au service de personnes âgées à domicile.

 

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