Accord sur la flexibilité et santé au travail Par Alain CARREJuin 2013 |
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Certaines organisations représentatives de travailleurs viennent de souscrire un accord avec les employeurs destiné à organiser la flexibilité de l’emploi. Il est prévu que l’Etat transpose, sans grandes modifications, cet accord dans la Loi. Ces dispositions ont, d’après leurs promoteurs, pour objectif de restaurer la compétitivité des entreprises et par là même (demain on rase gratis) de sauvegarder l’emploi. Grace à cet accord, peut être parviendront nous à égaler l’Allemagne et atteindre (enfin) son pourcentage fabuleux de 20% de travailleurs pauvres ! Le syndicat des avocats de France a pointé dans un communiqué le recul historique du droit que représente cet accord. Ainsi, l’une des principales prérogatives des comités d’hygiène de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), le droit d’expertise pour chaque CHSCT, est aussi visée par l’accord. Dès lors que l’entreprise comporterait plusieurs établissements, alors qu’auparavant le CHSCT de chaque établissement pouvait exercer son droit d’expertise sur un projet d’employeur, il devra dorénavant participer à la création d’une instance de coordination ad hoc qui fera appel à une expertise unique. Celle-ci devra être réalisée dans un délai 21 jours au lieu de 45 jours, ce qui présage de la précipitation qui y présidera. |
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Les effets de cet accord seront extrêmement négatifs en matière de santé au travail. Bien évidemment, un niveau de revenu très bas ne va pas dans le sens d’un « parfait état de bien-être physique, mental et social ». C’est une évidence. Toutefois il convient de prendre en compte d’autres conséquences qu’engendrerait cette flexibilité, sur des mécanismes intimes qui conditionnent le maintien ou la progression de la santé des travailleurs au travail. Considérons deux dispositions phares que sont la mobilité interne (quasi obligatoire pour le salarié) et le travail « intermittent ». En fait de mobilité interne, c’est de mobilité forcée qu’il faudrait parler, puisqu’il n’existe dans l’accord aucune clause de sauvegarde géographique et que le refus du travailleur pourra se conclure par un licenciement pour cause personnelle. Au travail, comme ailleurs, notre santé ne connaît pas de stabilité. « Etre en bonne santé c’est, pour chaque homme, femme ou enfant, avoir les moyens d’un cheminement personnel et original vers un état de bien-être physique mental et social ». Car « je me porte bien dans la mesure où je me sens capable d’assumer la responsabilité de mes actes, de porter des choses à l’existence et de créer entre les choses des rapports qui ne viendraient pas sans moi ». Cette lutte perpétuelle de l’être humain contre l’usure de temps ne connaît pas d’équilibre. A chaque instant le temps nous use ou nous lui résistons (provisoirement) ce qui implique d’avoir le pouvoir d’agir sur soi et sur les choses. C’est la condition essentielle de la construction de la santé Dans le travail, des déterminants collectifs assurent ce pouvoir d’agir et son exercice. L’histoire du travail, c’est-à-dire de l’exploitation de la force de travail des travailleurs, démontrent que c’est leur action coalisée qui permet que les conditions de travail soient moins délétères. Le moteur de cette action est la capacité collective à maîtriser à chaque instant le travail face à l’extrême variabilité de la réalité. En affaiblissant cette capacité collective, en empêchant « l’activité coordonnée des femmes et des hommes pour faire ce qui n’est pas prévu par l’organisation du travail » et le contrôle collectif sur les conditions de travail, la flexibilité, qui s’oppose à la cohésion des travailleurs, pourrait faire reculer l’amélioration des conditions de travail. Car le travail n’est jamais solitaire, il est solidaire. Cela signifie que pour agir au travail (c’est-à-dire y construire ma santé) je dois avoir accès au sens de mon travail, en participant à un système de valeurs partagées avec les autres travailleurs sur les savoirs faire et les savoirs faire ensemble, sur ce qu’est la réelle qualité de mon travail et de son résultat. D’après certains spécialistes du travail c’est la prise de pouvoir du management libéral sur la « qualité » comme « qualité pour le marché dans le temps du marché », son imperméabilité voulue à la réalité du travail pour promouvoir la culture unique de son résultat et par conséquent son incapacité volontaire à reconnaître « le bel ouvrage », qui sont les vecteurs de la souffrance au travail. Ce pouvoir repose sur l’individualisation des travailleurs, et l’intensification du travail. Les travailleurs deviennent des objets de production et de service et doivent se plier à l’instrumentalisation dont ils sont l’objet. La manipulation actuelle autour de la flexibilité consiste à faciliter l’efficacité de ce pouvoir pathogène. Flexibiliser c’est considérer les travailleurs comme des rouages qu’on actionne en cas de besoin et qui sont mis au rebut si nécessaire. Les mutations internes, le travail intermittent détruiront les valeurs collectives qui président à la construction de la santé au travail et à la maitrise de la réalité du travail par ceux qui l’effectuent. La qualité du travail en pâtira mais aussi et surtout la santé des travailleurs. Le pouvoir du management deviendra absolu, voire totalitaire, jusqu’à la catastrophe finale. Légitimer cet accord aurait des conséquences incommensurables. Le gouvernement devrait y réfléchir à deux fois. Qui sème le vent récolte la tempête. |