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L'association SANTÉ ET MÉDECINE DU TRAVAIL a pour objet de développer une réflexion et de permettre un échange sur les pratiques professionnelles et leurs conséquences scientifiques, sociales et éthiques pour agir sur l'évolution de la médecine du travail. Elle est ouverte aux médecins du travail et aux spécialistes scientifiques et sociaux se préoccupant de la médecine du travail.
La SMT fait partie des membres fondateurs de E-PAIRS.

 

 

Faire reconnaître une maladie professionnelle :

Mission impossible

Par Alain CARRE

Aout 2013

Une centaine de tableaux de maladies professionnelles, publiés par décret,  décrivent les conditions de reconnaissance dans le cadre de la « présomption d’origine », c'est-à-dire qu’il suffit de répondre aux conditions du tableau: maladie, délai de prise en charge, travaux effectués, pour être reconnu et indemnisé. Point n’est besoin de faire la preuve du lien entre travail et maladie.

Si un des éléments manque, le filet de rattrapage implique l’intervention d’un comité médical, le comité régional de reconnaissance des MP (CRRMP). Oui mais ici, la présomption d’origine ne joue plus. Il faudra que le travailleur fasse la preuve du lien direct (et dans un certain nombre de cas du lien direct et essentiel) entre sa maladie et son travail. Une grande inégalité existe dans ce domaine : si vous devez apporter la preuve du lien direct et habitez Marseille, vous avez 26% de chance d’être reconnu,  et 72% si vous habitez Limoges. Si vous devez apporter la preuve du lien direct et essentiel, à Marseille vos chances chutent à 7% contre 56% à Limoges. La médecine serait elle subordonnée à d’autres déterminants que ceux de la science ?

Depuis l’invention des tableaux, en 1919, le patronat s’ingénie à les complexifier et à les rendre plus difficiles d’accès. C’est que la maladie professionnelle est le triste résultat d’une exploitation, sans retenue, de la force de travail. Dès lors qu’elle survient, l’employeur est fautif de ne pas avoir assuré son obligation de sécurité de résultat. La juste indemnisation, dans ce cadre assurantielle via la sécurité sociale, peut être complétée si le travailleur démontre que son employeur connaissait le risque mais n’a pas pris les précautions nécessaires pour le protéger : c’est « la faute inexcusable de l’employeur ». Responsabilité et sanction financière, comment s’étonner que les employeurs s’évertuent à dissimuler les MP, voire à empêcher de les déclarer.

Le pire c’est qu’ils y parviennent ! Qu’il s’agisse des cancers (seuls 5% des cancers professionnels sont reconnus), des maladies articulaires (troubles musculo-squelettiques : TMS) ou des maladies  psychiques  engendrées par l’organisation du travail, les spécialistes, dès lors qu’ils ne sont pas en conflit d’intérêt du côté des employeurs, estiment que la sous déclaration et la sous reconnaissance sont massives. On est loin du fantasme patronal d’un coût de réparation qui saperait la « compétitivité », sauf à entendre que c’est la santé des salariés qui en constitue la variable d’ajustement ! Comment oublier que dans notre pays, par rapport au noyau des pays européens fondateurs, l’exploitation de la force de travail est la plus féroce. Même les salariés anglais sont globalement  en meilleur santé que les français. C’est un comble !

Les moyens employés pour arriver à ce résultat sont très divers. Maintien  dans l’ignorance  d’une partie des médecins de soin, intimidation des médecins du travail, complexité de rédaction des tableaux et des conditions à remplir, lourdeur des procédures qui empêchent ou dissuadent les victimes, rétorsion sur l’emploi via l’inaptitude, lobbying européen et  dans les ministères et leurs commissions : la liste des stratégies patronales  est loin d’être exhaustive.

Parmi celles-ci le sabotage des tableaux pour saper la présomption d’origine et détourner la déclaration vers le CRRMP, a le vent en poupe. L’aventure du tableau N°57 A (TMS de l’épaule) est révélatrice de ces dérives. Grace à  la triple alliance de l’administration, de l’université et du patronat et contre l’avis de la représentation des travailleurs, mis ainsi en minorité, a été rendu inapplicable un tableau emblématique qui permettait une prise en charge équitable des maladies de l’épaule liées à l’intensité du travail et aux positions articulaires forcées.

Le libellé des maladies est devenu incompréhensible au profane : ainsi, « épaule enraidie succédant à une épaule douloureuse simple » est devenue « tendinopathie chronique non rompue non calcifiante de la coiffe des rotateurs objectivée par IRM ». Pour les travaux, « les travaux comportant des mouvements répétés ou forcés de l’épaule » sont devenus des « travaux comportant des mouvements ou le maintien de l’épaule sans soutien en abduction : avec un angle supérieur ou égal à 60° pendant au moins deux heures par jour en cumulé ou avec un angle supérieur ou égal à 90° pendant au moins une heure par jour en cumulé ». Ça ne s’invente pas ! Du coup le nombre de reconnaissances s’effondre.

Résultat des courses, est ainsi sapée petit à petit la possibilité d’une juste réparation.

C’est dans le sens d’un plus large accès et non d’une restriction que doivent être  dorénavant modifiés les tableaux : élargissement  aux maladies psychiques, compréhension des termes, simplification des procédures et réforme des tableaux limitée à ceux qui font l’objet d’anomalies vérifiées, tel devrait être le programme d’une mandature  qui prenne en compte l’intérêt des travailleurs. Est-ce le cas ? Qui vivra verra.

 

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