le lean, le redressement productif et la
santé au travail
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Le très officiel centre d’étude de l’emploi (CEE), établissement public de recherche, s’intéresse dans une enquête, réalisée en 2006, aux effets des organisations du travail sur les conditions de travail et la santé des travailleurs européens qui s’y trouvent confrontés. Elle se réfère à la classification européenne des formes d’organisation du travail. Quatre organisations du travail sont ainsi comparées : les « organisations apprenantes » caractérisées par une forte autonomie des salariés et un autocontrôle de la qualité, les « organisations de structure simple », individualistes avec rotation des tâches et contrôle personnel de la qualité, les « organisations tayloriennes » : avec de fortes contraintes de rythme de travail, des tâches répétitives et autonomes et des normes de qualité précises. La quatrième forme d’organisation, objet de l’étude : la « lean organisation »constitue la forme la plus récente. Elle est directement liée à la forme libérale d’entreprise. Issue du « Toyotisme » et de sa méthode « Kazen », elle se caractérise par une forte diffusion du travail en équipe, la rotation des tâches et une gestion de la qualité par autocontrôle et un respect de normes de qualité précises. Les marges d’autonomie des salariés sont extrêmement réduites et ils subissent des contraintes de rythme importantes. Ce taylorisme « amélioré » (ou ses avatars, la méthode « six sigma » par exemple), qui se déploie aussi bien dans le secteur productif que dans celui des services, gagne progressivement du terrain, en un phénomène de mode si caractéristique de notre fonctionnement social superficiel et médiatique. « Lean » mot anglais qu’affectionnent tant les « entrepreneurs » (« vérité au-delà de la Manche, erreur en deçà ») signifie tout simplement « maigre ». Évidemment « organisation maigre » cela fait beaucoup moins pompeux que « lean organisation » et on comprend mieux l’euphémisation recherchée par l’anglicisme. L’étude du CEE démontre qu’en fait de maigreur, ce n’est pas seulement l’organisation qui devient maigre mais bien plutôt… le travailleur. La comparaison entre organisations à laquelle se livre l’étude du centre de l’emploi est, dans la majorité des cas, très défavorable pour « l’organisation maigre », notamment en comparaison avec les organisations apprenantes. Ainsi, 42,9% des salariés soumis à cette organisation subissent, au moins la moitié du temps de travail, des postures pénibles. Plus de 60% accomplissent des mouvements répétitifs des bras et des mains. 46,3% sont exposés à des bruits intenses et 30% à la chaleur. 39,7% inhalent des substances dangereuses et 26,2% y sont en contact au moins un quart de leur temps de travail. Ces travailleurs sont plus souvent soumis à des horaires atypiques, des horaires flexibles ou des durées de travail longues, par exemple la moitié travaille le samedi. Pour près de 40% les cadences sont élevées tout le temps ou presque, pour plus de la moitié les délais sont serrés, un quart d’entre eux vivent des interruptions perturbantes. L’effet de ces conditions de travail du « lean » sur la santé des travailleurs est bien évidemment très négatif : plus de deux tiers des salariés sont concernés par des atteintes à la santé liées au travail. Ces atteintes sont aussi bien physiques (maux de dos, TMS) que psychologiques (insomnie et stress pour un tiers des salariés). La seconde partie d’un documentaire diffusé (tardivement) sur une chaîne publique : « la mise à mort du travail » démontre également ses effets sur la santé sociale : dans l’usine française d’un constructeur international de chariots automoteurs elle a eu pour effet cent cinquante licenciements. Organisation du travail délétère, le « lean » devrait être interdit. Perdu ! Car, parallèlement, nos oreilles sont sollicitées par une nouvelle obligation économique libérale : la « compétitivité ». Comme les médecins de Molière se penchant sur le malade imaginaire, un seul diagnostic pour notre pays: nous souffrons d’un manque de « compétitivité »! Ainsi, le premier numéro du bulletin de la Direction Générale de la Compétitivité de l’Industrie et des Services du ministère du redressement productif publié en novembre 2012 nous fournit une solution parfaite : « le Lean: un outil d’excellence opérationnelle » ! L’éditorial nous apprend que : « Fondé sur une démarche de rationalisation et d’amélioration continue, le lean management est l’un des outils de l’excellence opérationnelle permettant aux PME d’accroître leur compétitivité. Depuis 2009, la DGCIS soutient le programme pilote de lean management « UIT-Lean » lancé pour une durée de trois ans dans l’industrie du textile et de l’habillement ». Faut-il en rire ou plutôt en pleurer ? Ce bulletin rédigé par une administration, qui devrait avoir le souci de l’intérêt public et qui devrait protéger la santé des travailleurs au travail, promeut scandaleusement, sans retenue, sur deux pages, une méthode d’organisation délétère : ignorance ou volonté de nuire, dans les deux hypothèses le dysfonctionnement est accablant. Cela démontre s’il en était besoin que la compétitivité se construit dans l’immense majorité des cas contre la santé physique, mentale et sociale des travailleurs au travail, car il s’agit ici d’exploiter jusqu’à la corde la force de travail. Mais au fait, où est le changement politique annoncé ? Quelle confiance accorder après de telles dérives ? Y a-t-il un pilote dans l’avion ? Car, comme chez Molière, avec cette médecine là, il y a fort à parier que, de saignées en purgations, le malade mourra bien avant d’être guérit.
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