Le suivi post professionnel : histoire
d'une fiction
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Si vous avez couru un risque professionnel cancérogène, par exemple des expositions à la radioactivité, mais aussi et surtout si vous avez été exposé(e) à un ou plusieurs agents chimiques officiellement classés comme cancérogènes, vous avez accès à un suivi spécifique du médecin du travail. Si vous n’êtes plus exposé(e) (mais que vous êtes en activité) sera mis en place un suivi post exposition. A votre départ à la retraite, ce suivi se transforme en suivi post professionnel (SPP) par tout médecin de votre choix et ceci aux frais de la branche AT-MP financée par les employeurs. Si des conséquences de votre exposition survenaient, le dépistage pourrait être plus précoce et les soins plus efficaces et vous auriez accès à un droit à réparation du préjudice subi du fait du travail. Sans céder à la mode du sondage, on peut parier que bien peu de celles et ceux qui lisent cette chronique savent qu’existe cette possibilité. Je passe sur le fait scandaleux que ces expositions sont souvent inconnues des travailleurs, grâce au jeu de cache-tampon des risques professionnels, et pire encore de leur prévention, auquel excellent nombre d’employeurs. C’est qu’en fait, derrière la magnifique toile peinte juridique, dressée par les virtuoses du ministère du travail et les artistes du ministère de la santé, il n’y a en réalité pas grand-chose. Comme d’habitude en matière de santé au travail, ce magnifique dispositif relève de la science-fiction. On pourrait croire qu’il suffit de le demander pour avoir accès au SPP, mais dans l’univers parallèle de la santé au travail la réalité est virtuelle. Certes, la gracieuse ameli(.fr) nous indique le processus. On y apprend que ce suivi « organisé » par l’article D461-25 du code de la sécurité sociale est (premier verrou) réservé aux cancérogènes « officiels » : si vous avez été soumis à un risque d’un produit suspect d’être cancérogène mais qui n’a pas le label européen, même si l’OMS le reconnait comme tel, ça compte pour du beurre ! Les examens médicaux sont précisés par arrêté (deuxième verrou). Cela « limite les dégâts ». Ainsi, pour l’amiante, alors que dès 1996 le scanner thoracique est cité officiellement comme moyen de suivi des travailleurs soumis à ce risque, il aura fallu attendre 2011, soit 15 ans, pour que l’arrêté permette cette prescription dans le cadre du SPP. Il n’y a pas de petits profits ! Théoriquement le médecin chargé du suivi peut prescrire d’autres examens mais (troisième verrou) uniquement sur accord du médecin conseil de la caisse. Enfin (et ce n’est plus un verrou mais une porte blindée), même si, théoriquement encore, peut s’y substituer un certificat médical du médecin du travail ou encore à la demande du retraité, une enquête de la caisse de sécurité sociale, il est nécessaire pour avoir accès au SPP, de produire une attestation d’exposition de son employeur à l’agent cancérogène. C’est pas gagné ! Car bien sûr, les employeurs ne se bousculent pas pour tracer les risques et tout particulièrement celui-ci. Nous avons déjà évoqué le rapport officiel (rapport Lejeune) qui le constate dans un précédent texte. Parfois même, c’est le cas d’une entreprise du secteur de l’énergie, l’employeur a poussé la forfanterie jusqu’à rédiger des attestations de NON-exposition, alors que l’exposition était tout à fait avérée. Il faut parfois aller en justice pour obtenir cette attestation. On croit rêver et c’est un cauchemar ! Alors que depuis la mise en place du SPP des centaines de milliers de travailleurs ont été exposés professionnellement au risque cancérogène, seuls 3 à 4000 retraités y ont eu accès. Comment s’étonner du bilan calamiteux des reconnaissances des cancers professionnels qui représentent 6% des cancers attendus, ce qui signifie que la cause de 94% d’entre eux est ignorée. Comme « le changement c’est maintenant », il serait temps que l’univers parallèle de la santé au travail converge avec notre univers et qu’enfin le suivi post professionnel passe de la fiction à la réalité. Ainsi, dans notre univers, ne pas délivrer d’attestation d’exposition relève de l’abstention délictueuse de l’employeur et constitue une perte de chance pour le travailleur du fait du mépris de son droit de savoir. Dans notre univers, le SPP devrait être mis en place sur simple demande du travailleur qui estime avoir été exposé et imputé directement à l’organisme responsable. C’est à l’employeur que reviendrait d’établir la preuve de l’absence d’exposition. Dans notre univers, les cancérogènes ne s’arrêtent pas à la barrière de l’usine et le SPP doit devenir environnemental et être étendu aux riverains. Chiche !
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