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L'association SANTÉ ET MÉDECINE DU TRAVAIL a pour objet de développer une réflexion et de permettre un échange sur les pratiques professionnelles et leurs conséquences scientifiques, sociales et éthiques pour agir sur l'évolution de la médecine du travail. Elle est ouverte aux médecins du travail et aux spécialistes scientifiques et sociaux se préoccupant de la médecine du travail.
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" Le travail il ne suffit pas d'en avoir, il faut aussi en être
Par Alain CARRE

Aout 2013
 

Nous avions déjà montré, ici, comment les dispositions de l’accord sur la flexibilité de l’emploi auraient un impact très fortement négatif sur la santé des travailleurs. Dans cette affaire sinistre, les victimes sont les travailleurs dont la santé n’a jamais eu la même importance que celle des victimes d’autres scandales sanitaires non professionnels. Les responsables et leurs complices institutionnels ne sont pas jugés. Le fait que cet accord ait été adopté, sans modification notable par le parlement, malgré l’opposition d’une partie de la majorité et des représentants du Front de gauche, entérine un déséquilibre préjudiciable du contrat de travail. Le titre même de la loi signe son caractère libéral. Comme le libéral dit toujours l’inverse de ce qu’il fait, la loi « de sécurisation de l’emploi » a pour résultat la précarisation de l’emploi  et aussi et surtout du travail. Les employeurs ont dorénavant, en France, rapproché la subordination de droit romain, qu’ils exercent sur les travailleurs, de son origine historique : l’esclavage. L’état a abandonné le rôle contemporain de rééquilibrage du contrat de travail qu’il jouait, au moins depuis 1946. La droite en rêvait, le social-libéralisme l’a accompli ! Les stratégies historiques des employeurs, pistées par les historiens de la santé au travail depuis le début du 19éme siècle : « le déni des atteintes à la santé au travail, l’endiguement de l’intervention publique et la minimisation des coûts », ont atteint leur objectif.

Il y a une réelle incapacité de la plupart des hommes et des femmes politiques (à de notables exceptions près) à raisonner autrement qu’en termes économiques dont on les a gavés depuis le berceau et que les lobbyistes entretiennent. Dans un ouvrage paru en 1997 en Italie et traduit en 2012 en français, « la cité du travail », Bruno Trentin, ancien secrétaire général de l’homologue italienne de la CGT, démontre comment les femmes et hommes politiques et certains syndicalistes (dits de gauche), dans l’incapacité d’appréhender la question du travail se cantonnent à la revendication unique de l’emploi. C’est, selon lui, du fait de cette cécité à la question essentielle du travail qu’ils (elles) sont incapables de proposer une alternative crédible à l’ultra libéralisme, qu’ils (elles) se contentent d’accompagner.

Cela les rend incapables, par ignorance, mais aussi pour certains par intérêt, à appréhender deux faits essentiels : emploi et travail ne sont pas synonymes. Le travail et la santé sont intimement liés. C’est le travail qui crée du lien social, et nous permet « d’exister au monde » et d’agir sur lui. C’est cette existence au monde et cette action qui génèrent les conditions de notre santé. Comme le résume Yves Clot : « le travail il ne suffit pas d’en avoir il faut aussi en être ». Cet engagement dans le travail comme lien social, vécu si fortement par les travailleurs en France, assure leur productivité record. C’est aussi ce qui souvent préserve leur santé. Les cantonner à ne voir dans le travail qu’un emploi brisera à la fois leur santé et leur volonté de bien faire.

Il faut craindre qu’on en soit déjà là. Les constats sur les effets du travail sur la santé ne font pas la une des journaux et pour cause. Ainsi, seules 4 à 5 % des consultations ambulatoires annuelles sont reconnues par l’Assurance maladie comme attribuables au travail, et, selon elle, 12 à 13 % des personnes arrêtées au moins une fois sur une durée de deux mois l’ont été à cause d’un accident ou d’une maladie professionnelle. Environ 2 à 3% des personnes hospitalisées au moins une fois dans l’année l’ont été, selon les enregistrements de l’Assurance maladie, à cause du travail. Une étude réalisée par l’institut de recherche et documentation sur l’économie de la santé (IRDES) en 2011 bouscule ces idées reçues. Elle porte sur « l’influence des conditions de travail sur les dépenses de santé »[   26p ]. Son auteur résume ainsi ses conclusions : «. Les trois formes de pénibilités retenues (pénibilité physique actuelle, pénibilité physique passée et risques psychosociaux) induisent des modifications dans la consommation ambulatoire, dans la prise d’arrêts de travail et dans les hospitalisations. De plus, nous mettons aussi en évidence un effet supplémentaire du cumul des risques professionnels sur les dépenses de santé. Ainsi selon la méthode d’estimation retenue, les individus soumis au cumul des trois risques étudiés ont entre 22,4 % et 25,1% de consultations en plus relativement aux salariés sans exposition, entre 46,3 % et 56,1% d’arrêts de travail en plus et entre 27,2 % et 35,9 % d’hospitalisation en plus ». Vous avez bien lu : un quart des consultations, la moitié des arrêts de travail, un tiers des consultations des travailleurs pourraient être évitées si la prévention des risques professionnels était rendue efficace. De meilleures conditions de travail amélioreraient notablement l’équilibre des dépenses de santé. On ne pourra pas nous reprocher de ne pas être constructif : contraindre un employeur à respecter ses obligations de prévention, devoir civique, devient aussi un devoir économique.

 

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